le zen dans l'art de la ceinture
je ne veux pas de votre sentiment, parce que je ne veux pas de votre indifférence à venir. ni de votre condescendance, ni de votre application à vouloir me faire rire.
j'espèrerais, si j'avais encore un espoir, m'enflammer à nouveau pour me consumer tout à fait, pour disparaître, tout à fait, à ma propre vue. Au moins n'aurais-je plus à juger de rien de moi-même, ni à me soutenir vainement, ni à me secourir sans arrêt.
Au moins n'aurais-je pas à assister au spectacle de ce corps devenu sans âme, de cette mécanique animée seulement de quelques terribles bons sentiments - qui peut aimer n'importe qui n'importe comment - et qui au terme de chaque escapade, se retrouve vide et désabusé comme au départ, parcouru de gestes qui n'ont laissé aucune empreinte notable; parce que si le corps est resté souple, le coeur est désormais d'argile imperméable.
une main le modèle pour un temps, la suivante, en passant change tout à nouveau. nulle trace ne reste définitive, et s'il se fige c'est d'avoir séché trop vite: il se craquèle alors, et puis s'éfrite.
il reste à éviter les chocs, les déséquilibres, s'asseoir et pratiquer pour soi seule le zen dans l'art de la ceinture.
je suis cette imposture qui a écourté vos nuits, pillant votre sommeil, et vous a tenue enfermée tout le jour.
je suis cette imposture qui a braqué vers vous ses regards inquisiteurs, à l'affût de vos sursauts, de l'arc tendu de votre ventre.
je suis cette imposture obéissante sous vos doigts crispés à mon front, et ma nuque.
je suis l'imposture de mes mains égarées sur vos seins durcis, et la vague fièvreuse née au creux de mes paumes.
je suis l'imposture spectatrice, attentive, en haleine, à votre souffle, à votre râle, à votre cri.
je suis cette imposture invitée à votre intimité, aux replis profonds de votre chair, à vos secrets.
Sans pour autant chercher à vous connaître tout à fait.
Je ne suis peut-être en fait, que le feu sous la cendre
face à face
à votre cou à votre gorge
au lobe de l'oreille un murmure
une morsure, un souffle brûlant
lèvres à lèvres
entre vos cuisses, entre mes mains
sur le bout de la langue chercher mes mots
jouer l'accord sur une corde unique
tendue jusqu'à en craquer
pince et frôle et caresse
et s'invite au festin
à quoi pensent-elles ?
à quoi s'adonnent-elles lorsqu'elles s'abandonnent?
...les tenant là, si près, l'espace d'un instant court
en ignorant tout d'elles.
parlant de la peau à la peau, de la chaleur au frisson
encore toujours,
condamnée à n'en rien savoir
à n'y rien pouvoir.
j'ai aimé jalouse et j'ai aimé fière, j'ai aimé fidèle et puis je m'en suis lassée. et je me suis laissé glisser de bras en charmes, en rêvant l'art d'aimer.
j'ai brodé des milliers de mots pour craquer leurs sourires, pour la récompense soyeuse du baiser qui dit la trêve, qui marque la fin des hostilités. j'ai cherché la paix dans leur visage posé sur ma poitrine, dans le rythme tranquille de leur souffle endormi.
j'ai cherché la bataille, la lutte, le corps à corps, la force dans le rapport, qui n'attend qu'un murmure pour se rendre, toutes armes déposées.
j'ai tant voulu, j'ai voulu tout... rassemblé. être la première et la seule, l'unique, l'irremplaçable, l'espace d'une heure... qu'il n'existe pour elle au monde
plus que moi.
dans la tendresse de l'étreinte
dans la furie du désir
dans la consolation du repos
il y avait le projet d'un instant pour le suivant
la sincérité du présent
sans le poids du passé qui entrave
sans l'illusion rêvée de l'avenir
la peau contre la peau
il y avait vous et moi toutes entières
hors les mots
sans histoires
ce qui s'était rêvé avant
ce qui serait imaginé après
appartient à un autre monde.
oublier simplement le deuil des sentiments
sacrifiés, éparpillés gaspillés
oublier l'espace d'un instant les années derrière soi
et les amours passées, mal passées
pour n'avoir plus la force ni le courage
de jeter son coeur à l'aventure
par lassitude ou par lâcheté
offrir la seule chose qui nous reste
qui puisse encore se partager
pendant quelques heures
dans l'autre s'oublier et n'avoir plus en tête que
son parfum, sa chaleur, la chanson de son corps
composer et jouer à deux
pour l'amour de la musique.
par amour des histoires d'amour
pour le seul désir d'être aimée
tant de chemins nous ont écartelée
de notre route
condamnée volontaire
à des années
et ce qui reste au bout du décompte
en ayant vu passer les joies et puis les jours
dans un silence assourdissant
dans une question obsédante
les femmes du passé interrogent:
"comment peux-tu m'oublier ?"
je ne peux pas.
j'ai passé chaque jour, chaque nuit dans vos bras
j'ai marié vos peurs avec les miennes
vos espoirs avec mes illusions
j'ai tenté de garder vivant le frisson intense
de nos découvertes
mais le temps sans concession
a démasqué mes impostures.
l'ardillon progresse de cran en cran
resserre la boucle
étrécit l'espace des sentiments
tout le zen dans l'art de la ceinture:
apprendre à retenir son souffle.
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